samedi 15 mars 2014

42. Les dons au Téléthon sont-ils des niches fiscales ?

Le lieu commun du mois de mars 2014
Les dons au Téléthon sont-ils des niches fiscales ? ou : Comment ne pas s'enrichir à peu de frais


Sujet : un point mal compris du système fiscal français
Objet : l'article de Renaud Chartoire, « Qui profite des niches fiscales ? », dans Sciences humaines, mars 2014, page 24


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Dans cet article (qui fait partie d’un dossier sur la fiscalité), on trouve l’énoncé suivant : « Les principales [niches fiscales], soit en termes de nombre de bénéficiaires soit en fonction des montants engagés, concernent le quotient familial (si on l’intègre dans la liste des niches), les dons aux associations et œuvres caritatives, les déductions pour l’emploi à domicile. ».

Cet énoncé contient à mon avis une erreur : classer « les dons aux associations et œuvres caritatives » dans les « niches fiscales ». C’est une opinion du reste très répandue : c’est bien évident, puisque, « si on fait des dons, on paye moins d’impôts ». Avant de la lire sous la plume d’un rédacteur à Sciences humaines, je l’avais rencontrée au cours d’une réunion consacrée au thème de la fiscalité.

Il est tout à fait exact que (dans les conditions prévues par la loi), les dons permettent de payer moins d’impôts. Et pourtant, ce ne sont pas des « niches fiscales », ce que je vais m’efforcer de démontrer.

Vraies et fausses niches
Je commencerai par le cas d’une vraie niche (le mot n’ayant en l’occurrence aucun sens péjoratif), à travers l’exemple (non cité par R. Chartoire) des dégrèvements pour travaux d’économie d’énergie. Pour l’achat d’une nouvelle chaudière d’une valeur de mettons 5000 euros, je bénéficie d’une réduction d’impôt de mettons 1500 euros : dans ce cas je deviens propriétaire d’un bien réel de 5000 euros que j’ai payé 3500. J’ai bénéficié d’un gain, 1500 euros que je conserve au lieu de les avoir dépensés : il s’agit bien d’une niche fiscale.

Qu’en est-il quand je fais un don ? Si je donne 1000 euros, je bénéficie d’un dégrèvement de 660 euros. J’ai dépensé réellement 340 euros ; mais, en contrepartie de cette somme, je ne détiens rien de tangible, ni bien, ni pouvoir dans la ou les associations bénéficiaires, ni rien qui ait un prix. Je ne bénéficie d’aucun gain : il ne s’agit donc pas d’une niche fiscale. Les dons aux associations ne seraient une niche fiscale que si, donnant 1000, je recevais 1000 + X euros de l’Etat, ce qui n’est évidemment pas le cas.

L’idée de faire des dons aux associations « pour pouvoir payer moins d’impôts » est inepte : si on est près de son argent, il vaut mieux payer les impôts qu’on doit et ne faire aucun don !

Qui serait le perdant en cas de suppression ?  
Supposons que les dons soient exclus des dégrèvements fiscaux. Si je continue de donner 1000 euros sans rien recevoir de l’Etat, il semble que « j’y perde quelque chose ».  Mais, en réalité, rien ne m’oblige à continuer de donner 1000 euros (sauf bien sûr le sens de l’honneur, la conscience morale, etc.) : rien de légalement ou de factuellement contraignant en tout cas. En fait, au lieu de donner 1000 euros, je peux n’en donner que 340 : le résultat sera exactement le même pour moi qu’avant la suppression du dégrèvement : j’ai dépensé 340 euros.
Mais, dans ce cas, il y aurait bien un perdant : les associations bénéficiaires. Il est donc logique qu'elles « montent au créneau » pour empêcher cette suppression.

Il n’en va pas de même si on supprime les dégrèvements pour les chaudières : dans ce cas, si je veux la même chaudière, je paye 5000 euros au lieu de 3500 ; je peux évidemment acheter une chaudière à 3500 euros, mais je serai propriétaire d’une chaudière à 3500 euros et non plus à 5000.

Ce que sont réellement les dégrèvements pour dons
Cette différence doit être analysée afin de comprendre ce que sont vraiment les dégrèvements pour dons aux associations :
*dans le système actuel, quand je donne 3 euros à une association, je diminue mes impôts de 2 euros (Dépense = 3 + Impôt - 2 = I + 1) ;
*c’est exactement la même chose que si je donnais 1 euro à l’association, que je payais mes impôts intégralement et que l’Etat versait 2 euros à l’association (D = .1 + I = I + 1)
Il s’agit en réalité d’un système de subventions à certaines associations, un système dans lequel à chaque fois que, dans la limité prévue, un contribuable donne 1 euro à une association, l’Etat verse 2 euros à cette association.

Un cas élémentaire de compensation 
On se trouve ici devant un cas parfaitement banal de transactions entre des personnes privées : le cas où deux personnes (A et B) veulent faire un cadeau de, mettons 100 euros, à une troisième (C). Ce qui peut  se passer est que A achète le cadeau ; B lui doit donc 50 euros. Quand B rend ces 50 euros à A, en réalité il verse sa part du cadeau commun à C. Si on suppose maintenant que A doit 500 euros à B : au lieu que B donne 50 euros à A, A va rendre 450 euros à B, de sorte que les deux dettes disparaissent. Personne n'imaginerait dans ce cas que A a obtenu une « réduction de dette » : il a réglé sa dette à B et B a réglé sa dette à A. 
Il est curieux que des gens qui réfléchissent sur l'économie soient incapables de voir que dans le cas des dons aux associations, il n'y a nullement « réduction d'impôts », mais versement d'argent en commun par un particulier et par l'Etat et que, comme le particulier verse la totalité, l'Etat se trouve en dette, de sorte que le particulier peut diminuer sa propre dette envers l'Etat (l'IRPP) de la somme qui lui est due. 

Pourquoi cette procédure ?
Il est évidemment plus simple pour l’administration du Trésor de procéder de façon détournée, ce qui permet de remplacer trois transactions par deux : je verse 3 et l’Etat me rembourse 2, dans le cadre d'une opération de compensation de dettes mutuelles.
Par ailleurs, le Trésor peut toujours espérer que j'omette de déclarer certains dons.
Enfin, cette procédure a un effet mystificateur, qui fait que les gens croient « payer moins d’impôts » et que les économistes et les journalistes économiques croient qu'il s'agit de « niches fiscales ». Pourtant les associations le disent clairement : « cela ne vous coûte que X euros » ; donc, implicitement : « cela vous coûte X euros ».
  
Ce que sont les dégrèvements autres que pour dons
Cette analyse permet aussi de comprendre que les autres dégrèvements fiscaux sont aussi des subventions, mais qui profitent au contribuable et non pas à un tiers ; l'analyse qui les présente comme des « manque à gagner », est tout à fait superficielle. Il n'y a pas de différence fondamentale entre un dégrèvement fiscal pour achat d'une chaudière et une « prime à la casse », sauf que, dans le premier cas, la subvention passe par une opération fiscale, et pas dans le second. Mais il serait tout à fait possible de payer une « prime à la casse » par le biais d'une procédure de dégrèvement fiscal. 

Dans ces conditions, l'utilisation de l'expression « niche fiscale » est de peu d'intérêt pour comprendre ce qui se passe ; son intérêt est exclusivement rhétorique : elle contient une nuance péjorative qui permet à certains hommes politiques, avec la complicité de journalistes balourds, de faire les matamores en disant qu'ils vont « raboter les niches fiscales », voire les supprimer, se donnant ainsi à peu de frais l'aura de pourfendeurs de privilèges. 

Mais, en tout cas, elle ne devrait être utilisée que lorsque le contribuable bénéficie effectivement d'une subvention, comme c'est le cas pour les investissements d'économie d'énergie ou les investissements outre-mer, etc. (la réduction d'impôt est alors réelle), mais pas pour les dons aux associations. 

Conclusion
Verser de l'argent au Téléthon, ou à une autre association reconnue d'utilité publique, n'est pas un bon moyen de s'enrichir. Désolé pour tous ceux qui le croyaient jusque là.
Cela n'empêche pas que l'on puisse s'interroger sur le principe, et encore plus sur les modalités de ces subventions. 
Mais qu'au moins le donateur ne soit pas montré du doigt comme un vulgaire assuré-vie, ni ne bénéficie des louanges du Figaro comme « contribuable malin ».



Création : 15 mars 2013
Mise à jour : 14 avril 2014




Première version (15 mars 2013)
Dans cet article (qui fait partie d’un dossier sur la fiscalité), on trouve l’énoncé suivant : « Les principales [niches fiscales], soit en termes de nombre de bénéficiaires soit en fonction des montants engagés, concernent le quotient familial (si on l’intègre dans la liste des niches), les dons aux associations et œuvres caritatives, les déductions pour l’emploi à domicile. ».

Cet énoncé contient à mon avis une erreur : classer « les dons aux associations et œuvres caritatives » dans les « niches fiscales ». C’est une opinion du reste très répandue ; c’est bien évident, puisque, « si on fait des dons, on paye moins d’impôts ». Avant de la lire sous la plume d’un rédacteur à Sciences humaines, je l’avais rencontrée au cours d’une réunion consacrée au thème de la fiscalité.

Il est tout à fait exact que (dans les conditions prévues par la loi), les dons permettent de payer moins d’impôts. Et pourtant, ce ne sont pas des « niches fiscales », ce que je vais m’efforcer de le démontrer.

Vraies et fausses niches
Je commencerai par le cas d’une vraie niche (le mot n’ayant en l’occurrence aucun sens péjoratif), à travers l’exemple (non cité par R. Chartoire) des dégrèvements pour travaux d’économie d’énergie. Pour l’achat d’une nouvelle chaudière d’une valeur de mettons 5000 euros, je bénéficie d’une réduction d’impôt de mettons 1500 euros : dans ce cas je deviens propriétaire d’un bien réel de 5000 euros que j’ai payé 3500. J’ai bénéficié d’un gain, 1500 euros que je conserve au lieu de les avoir dépensés : il s’agit bien d’une niche fiscale.

Qu’en est-il quand je fais un don ? Si je donne 1000 euros, je bénéficie d’un dégrèvement de 660 euros. J’ai dépensé réellement 340 euros ; mais, en contrepartie de cette somme, je ne détiens rien de tangible, ni bien, ni pouvoir dans la ou les associations bénéficiaires, ni rien qui ait un prix. Je ne bénéficie d’aucun gain : il ne s’agit donc pas d’une niche fiscale. Les dons aux associations ne seraient une niche fiscale que si, donnant 1000, je recevais 1000 + X euros de l’Etat, ce qui n’est évidemment pas le cas.

L’idée de faire des dons aux associations « pour pouvoir payer moins d’impôts » est inepte : si on est près de son argent, il vaut mieux payer les impôts qu’on doit et ne faire aucun don !

Qui serait le perdant en cas de suppression ?  
Supposons que les dons soient exclus des dégrèvements fiscaux. Si je continue de donner 1000 euros sans rien recevoir de l’Etat, il semble que « j’y perde quelque chose ».  Mais, en réalité, rien ne m’oblige à continuer de donner 1000 euros (sauf bien sûr le sens de l’honneur, la conscience morale, etc.) : rien de légalement ou de factuellement contraignant en tout cas. En fait, au lieu de donner 1000 euros, je peux n’en donner que 340 : le résultat sera exactement le même pour moi qu’avant la suppression du dégrèvement : j’ai dépensé 340 euros.
Mais, dans ce cas, il y aurait bien un perdant : les associations bénéficiaires. Il est donc logique qu'elles « montent au créneau » pour empêcher cette suppression.

Il n’en va pas de même si on supprime les dégrèvements pour les chaudières : dans ce cas, si je veux la même chaudière, je paye 5000 euros au lieu de 3500 ; je peux évidemment acheter une chaudière à 3500 euros, mais je serai propriétaire d’une chaudière à 3500 euros et non plus à 5000.

Ce que sont réellement les dégrèvements pour dons
Cette différence doit être analysée afin de comprendre ce que sont vraiment les dégrèvements pour dons aux associations :
*dans le système actuel, quand je donne 3 euros à une association, je diminue mes impôts de 2 euros (Dépense = 3 + Impôt - 2 = I + 1) ;
*c’est exactement la même chose que si je donnais 1 euro à l’association, que je payais mes impôts intégralement et que l’Etat versait 2 euros à l’association (D = .1 + I = I + 1)
Il s’agit en réalité d’un système de subventions à certaines associations, un système dans lequel à chaque fois que, dans la limité prévue, un contribuable donne 1 euro à une association, l’Etat verse 2 euros à cette association.

Mais il est évidemment plus simple pour l’administration du Trésor de procéder de façon détournée : je verse 3 et l’Etat me rembourse 2 (de plus, le Trésor peut toujours espérer que des gens omettent de déclarer certains dons) et cela a sans doute un effet « mystificateur », qui fait que les gens croient « payer moins d’impôts ». Pourtant les associations le disent clairement : « cela ne vous coûte que X euros » ; donc, implicitement : « cela vous coûte X euros ».
  
La particularité de ce système de subventions est que, dans les limites prévues, le libre choix d'un contribuable devienne une contrainte pour l’Etat, qui conserve le pouvoir de déterminer qui est éligible à ce mode de subvention, par le biais de la déclaration d'utilité publique.


Conclusion 
On peut, à partir de là, s’interroger sur la légitimité de ce système de façon plus pertinente que si l’on croit que « nous sommes tous bénéficiaires des dons aux associations » ou que (idée particulièrement grotesque, venant d'un responsable du Trésor), ces dégrèvements sont « un manque à gagner pour les finances de l'Etat »





























samedi 8 mars 2014

41. Premier sonnet sur l'amour de l'éducation : Junghans

Hommage à Pascal Junghans pour son amour de l’éducation



Classement : recyclage



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Il y a plusieurs années que je m’intéresse au discours médiatique sur l’éducation. A l’époque, j’avais trouvé dans un rayon de bibliothèque un livre de Pascal Junghans, « La Fracture scolaire » (Editions Syros, collection « Ecole et société », 1997).

Dans un ensemble mal écrit, mal construit, mal pensé, on trouve une dose d’anti-élitisme passant largement les bornes de l’habituel, assorti de formulations absurdes dans leur excès. Le livre de Junghans est un exemple, relativement ancien, de ce qu'on peut appeler « bourdieusisme délirant », qui imprègne largement le discours médiatique actuel (en dernier lieu : une tribune de David Salegueule dans Libération du 3 mars 2014)

On trouvera un florilège junghansien en annexe.

Ce fatras m’avait inspiré, en réaction, un sonnet :

Hommage à Pascal Junghans pour son amour de l’éducation

Apprends d'abord, Junghans, ce qu'est une litote,
Toi pour qui c'est bien peu que Descente aux enfers,
Catastrophe, Train fou, visions d'âge de fer,
D'Apocalypses relookées à Gravelotte.

Ne confonds pas fusillade et mauvaise note,
Le baccalauréat n'est pas la der des ders ;
D’abus métaphoriques ne sois pas si fier,
Ne te satisfais pas de tes formules sottes.

Ta sociologie, pavée de grands sentiments,
Conduit au cimetière des raisonnements,
Où, joyeux chantre de l’harmonie patronale,

Avec des arguments aussi tordus qu'une S,
Tu ne cherches qu'à déconsidérer le SNES
Et diaboliser l'Education nationale.

[A ma connaissance, c’est le seul poème français incluant le sigle « SNES »]

Quelques mots sur Pascal Junghans
Je copie-colle ici le texte trouvé sur un site :
« Pascal Junghans, 55 ans, est professeur à l’International University of Monaco, chargé de cours à l’Université de Technologie de Troyes et à l’Université de Poitiers. Docteur en sciences de gestion, ses recherches portent sur l'intelligence économique, la criminalité financière, le traitement de l'information et les médias. Il a été auparavant directeur de programme dans une école de commerce, journaliste pendant 26 ans (la Tribune, Capital, Libération ...) et cadre dirigeant dans un important cabinet de courtage d'assurance. Il est l'auteur de huit livres dont le dernier traite des services de renseignement français. »


Annexe
Quelques citations croquignolettes de l'ouvrage de Pascal Junghans, classées par thèmes

Le livre de Pascal Junghans, docteur en sciences de la gestion, c'est : 

Un style immonde
Page 24 : « …cette tendance a tendance à se poursuivre, voire à s’amplifier »
Page 30 : « les réponses pédagogiques [à ce problème] sont infiniment multiples. »
Page 63 : « la démocratisation de l’école tant chantée sur toutes les estrades de France et de Navarre n’est qu’un véritable leurre »
Page 76 : « gangrenées par des idées subversives, voire de gauche ! »
Page 219 : « une demi-dizaine d'années plus tard »
Page 247 : « … développer la possibilité de pouvoir entamer des études »

Des formules choc
Page 27 : « … catastrophe »
Page 42 : «… Moloch qui broie des milliers de jeunes »
Page 84 : «… l’enseignement technique entame sa lente descente aux enfers »
Page 64 : « le niveau des enfant d’ouvriers monte mais beaucoup moins vite que celui de la moyenne des autres élèves, montre une étude – une véritable bombe –, réalisée par l’[INSERM] »
Page 81 : «… fonce à tombeau ouvert vers le précipice » (quoi ? Allez-y voir !)
Page 107 : «… le ministre Chevènement, véritable Gribouille, lance l’école, tel un train fou, sur des rails débouchant sur un précipice »

Une métaphore chiadée
Page 83 : « Les « nouveaux collégiens » arrivent dans le secondaire comme les poilus de 1917 sortaient des tranchées : en se disant que sinon ils seraient fusillés par les leurs, tout en étant persuadés que beaucoup d’entre eux resteraient au tapis.
Ceux des « nouveaux collégiens » qui survivent au massacre sont récompensés de […] leur énergie en monnaie de singe. »
« Monnaie de singe » : pas mal vu, non ?

Des prétentions à la littérature
Page 131 : « Lorsque Claude Gros – un homme au mince collier de barbe sans lequel un fonctionnaire de l’Education nationale ne serait pas tout à fait complet – arrive comme proviseur, il y a quatre ans, il découvre un établissement qui dérive comme un bateau ivre. »
Page 171 : « Chaque année c’est le même pensum : de vieux directeurs d’administration centrale quittent la Rue de Grenelle et, dans de poussifs véhicules, se dirigent vers le ministère des Finances comme en d’autres temps on allait à Canossa. Dans l’immense immeuble du plus pur style stalinien, construit par l’architecte Chemetov, un jeune chef de bureau soupire. Ce jour, il reçoit le vrai, le seul ministère dépensier, celui de l’Education nationale, de loin le premier budget de la nation. [Suivent des chiffres - évidemment catastrophiques - sur le budget de l’EN]… Le jeune chef de bureau piaffe d’impatience à l’idée de tailler à pleine calculette dans la grosse chair molle de ces masses financières qu’il soupçonne d’être largement improductives. »

Des remarques pertinentes sur François Bayrou et Jean-Pierre Chevènement
Page 54 : « cet agrégé de Lettres, père d'une polytechnicienne. » (cela doit être su !)
Page 139 : « le ministre Bayrou est doté d’une ambition féroce …. »
Page 107 : «… le ministre Chevènement, véritable Gribouille …. »

De l'amour pour les livres
Page 52 : « Quelles solutions préconise alors Bentolila pour réduire l’illettrisme ? D’abord, évidemment, mettre en garde contre la télévision, diatribe convenue, car « la grande masse de la production télévisuelle impose un mode de relation au sens qui est en contradiction formelle avec celui qu’implique la lecture » [citation de Bentolila, 1996, page non indiquée]. Il faudrait donc interdire la télévision aux enfants. En voilà une suggestion parfaitement opératoire ! »
« Mettre en garde » ou « interdire » ?
Page 67 : « …les livres qui encombrent les bibliothèques parentales »

Un peu de prof-bashing
Page 130 : « Mais les consommateurs d’école les plus avertis, c’est-à-dire les professeurs, ne se contentent pas de la stratégie triviale qui consiste à choisir un lycée. Après tout, un excellent établissement peut être encore sectorisé. Quel dommage de ne pouvoir y accéder ! Alors choisissons le collège qui mène à ce lycée. Mieux, attaquons-nous à l’école primaire. Et pourquoi pas à l’école maternelle ! Environ 59,9 % des professeurs bravent les impératifs de la carte scolaire et choisissent la maternelle où leur rejeton fera ses premières expériences de vie collective. On choisit la meilleure maternelle qui conduit à la meilleure primaire, puis au meilleur collège et enfin au meilleur lycée… Peu à peu se constituent des filières d’élite. Et aussi, par voie de conséquence, des filières poubelles. »
Il n’est pas à la portée de tout le monde de saisir le concept de « environ 59,9 % ». 

Conclusion
Ben, oui, quoi, mais ya quand même du vrai, alors !




Mise à jour : 10 mars 2014

























jeudi 6 mars 2014

40. La très mauvaise métaphore des « héritiers »

Quelques réflexions sur le caractère mystificateur de la métaphore de « l’héritage »



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Pierre Bourdieu a, le premier ou non, utilisé la métaphore des « héritiers », et en la plaçant très en vue comme titre d’un de ces livres, lui a donné une grande popularité, au moins chez les membres de l’élite intellectuelle, les « héritiers » eux-mêmes.

Il semble que ses épigones médiatiques se soient emparé de cette métaphore sans comprendre que ce n’est qu’une métaphore, en lui accordant une valeur réelle, de sorte que (comme c’est le cas dans le texte de David Belliard, dit David Salegueule on peut en l’utilisant se retrouver à la limite de l’infamie. Mais, même comme métaphore, son adéquation avec la réalité n’est pas très bonne.

Qu’est-ce qu’« hériter » au sens propre ? 
Il s’agit d’un acte administratif transférant une propriété d’une personne (décédée) à une autre. L’héritier réel n’a presque rien à faire, le processus lui est extérieur. Dans le cas le plus radical (peu fréquent), il reçoit d’un notaire une lettre l’informant qu’un lointain parent lui lègue telle somme, ci-joint, tous droits acquittés, un chèque sur telle banque (il faut tout de même qu’il aille encaisser le chèque…).

Fondamentalement, il n’existe pas d’ « héritage » en matière de culture : l’acquisition d’une culture est un processus qui suppose une forme ou une autre de travail.

Si on prend le mot « héritage » dans un sens métaphorique, j’admets qu’on peut « hériter » de ses parents :
1) un certain nombre de traits physiques (transmis génétiquement)
2) un certain nombre de façons de se comporter (transmises par fréquentation)
3) une partie importante du langage (idem).

La question est moins claire pour ce qu’on appelle « l’intelligence ». Si on considère que « l’intelligence » est la capacité à établir des liens entre des éléments apparemment disjoints (par exemple, le fait que, d’un certain point de vue, une pomme qui tombe d’un pommier, c’est la même chose que la Lune qui tourne autour de la Terre), on peut supposer qu’elle a un lien fort avec l’acquisition du langage, donc qu’elle est en partie « héritée » (a priori, il n’y a pas lieu de supposer que « l’intelligence » est transmise génétiquement). Mais une part de l’intelligence repose aussi sur un travail intérieur personnel, lié aux connaissances que l’on acquiert.

En revanche, il n’y a aucun « héritage » en ce qui concerne les connaissances, ou « la culture ». C’est évident pour tout le monde dans le cas où on a un père remarquable cuisinier et une mère excellente bricoleuse : personne n’imagine que l’enfant « hérite » des ces expertises parentales.
En revanche, beaucoup de gens font semblant de croire que la culture fait partie de l’héritage. Cela apparaît de façon grotesque lorsqu’un journaliste voulant tirer à la ligne dénonce le fait que dans telles et telles familles, on trouve des étagères bourrées de livres, ce qui constituerait une atteinte fondamentale à l’égalité entre les êtres humains. Il ignore ou fait semblant d’ignorer que l’essentiel n’est pas de détenir les livres, mais de les lire, et que ce ne sont pas les parents qui peuvent le faire pour leurs enfants, sauf quand ceux-ci ne savent pas lire.

Une grave interrogation est ici nécessaire : est-ce que lire des histoires de Winnie l’Ourson à son enfant en bas âge ne devrait pas être considéré comme un élément de « stratégie familiale » visant à l’excellence scolaire ? Cette activité ne devrait-elle pas être interdite pour rétablir l’égalité ? Ne faudrait-il pas, pour rétablir l’égalité, limiter le nombre de mots que les parents ont le droit apprendre à leur enfant en bas âge en fonction de quotas établis par un service de police dont les membres seraient dotés de matraques et dont la direction serait confiée à Patrick Fauconnier.

Il est clair qu’il est plus facile d’acquérir une culture littéraire, historique, politique, etc. s’il y a beaucoup de livres à la maison, et si de surcroît on a des parents qui pratiquent la lecture, etc. De même que beaucoup de musiciens viennent de familles fortement orientées vers la musique ; mais on en trouve aussi quelques uns venant de familles pas orientées vers la musique. Personne n’a l’idée de dénoncer les premiers (Bach, Mozart, etc.) comme des « héritiers » (sans doute parce que la musique, ce n’est pas important) ; le même comportement devrait s’imposer, au moins en vertu du principe de précaution (contre la profération de sottises) en ce qui concerne les autres aspects de la culture.

Curieusement, les journalistes de la reproduction sont obsédés par les aspects marginaux de l’acquisition culturelle : ils voient la différence essentielle dans la fréquentation des salles de concerts et de théâtre, les visites de musées. Outre que ces activités peuvent avoir un aspect barbant ou crevant, je pense qu’ils omettent l’essentiel : la culture (autre que les pratiques manuelles) s’acquiert en lisant. Les livres n’apparaissent dans leurs écrits que, comme je l’ai dit, pour être dénoncés quand il y en a trop chez certains ; mais on n’incite jamais, dans un article sur les problèmes de l’école, à lire (c’est réservé à la rubrique « Livres »), alors que les livres sont manifestement le moyen le moins coûteux (voire gratuit, dans les bibliothèques municipales et les CDI des établissements scolaires) d’acquérir une culture et donc, pour un enfant de milieux défavorisés, de combler une partie de l’écart avec les « héritiers ».

Mais ce n’est pas la seule contradiction des « reproducteurs ». 
Une autre, importante, est de dénoncer, de façon infondée, « l’héritage » quand il s’agit de culture, alors même que leurs publications (je pense en particulier au Nouvel Observateur) soutiennent dans leur partie « Economie » tout ce qui va dans le sens de la baisse des impôts, notamment ceux sur l’héritage (réel). « Le travail de toute une vie… »

Et d’une façon plus générale, de lécher servilement le cul aux classes dirigeantes quand il s’agit d’économie, tout en les « dénonçant » frénétiquement quand il s’agit d’école.


En conclusion :
*la métaphore de « l’héritage » s’applique en partie en ce qui concerne l’acquisition du langage, élément très important en matière d’école ;
*elle ne s’applique pas en ce qui concerne l’acquisition des connaissances ;
*l’acquisition de connaissances n’est pas un « héritage », mais est facilitée par les conditions socio-culturelles d’existence de la famille.

Le problème qui se pose est alors : relativement à cette situation, que peut faire et que doit faire la société en général, l’école en particulier ? Mais aussi : que peuvent faire, que devraient faire et que font les intéressés ?

Cette façon de poser les problèmes permet d’éviter l’hystérisation que l’on rencontre dans certains cas, dans des articles comme ceux de Radier, où j’ai parfois senti une sorte d’aspiration bolchévisante ou maoïsante à la table rase culturelle.


























mardi 4 mars 2014

39. Sur la reproduction, en hommage à David Salegueule

Quelques réflexions sur la « reproduction », en relation avec une tribune de David Belliard, alias David Salegueule



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Ce texte a été écrit suite à la publication dans Libération (le 3 mars 2014) d’une tribune intitulée « Pour en finir vraiment avec Eddy Bellegueule », de « David Belliard, journaliste », attaque lamentablement prétentieuse et autosatisfaite contre le livre si astucieusement évoqué (manifestement, ce quidam ne sait pas écrire). Ce n'est pas avec ça que Libération va remonter la pente...


Comme le montre cette tribune (mais aussi les articles de Radier, Soulé et tutte quante), le discours médiatique sur les questions scolaires fait un usage courant du terme ou de la notion de « reproduction » ; malheureusement, cet usage est, d’un point de vue épistémologique et d’un point de vue politique, erroné, voire inepte, parfois proche de l’ignominie.

Quand on parle de la reproduction, on désigne un phénomène réel : le fait que les enfants des couches supérieures de la société réussissent mieux à l’école que ceux des couches inférieures, phénomène dont je ne conteste pas l’existence et qu’il est souhaitable de réduire.

L’erreur épistémologique des journalistes (car eux aussi font de l’épistémologie, « sans le savoir ») consiste à prendre ce qui est un terme descriptif, un concept, pour une cause réelle : « si les enfants défavorisés réussissent moins bien, c’est à cause de la reproduction ». Leur erreur politique est de considérer ce qui est essentiellement une inégalité sociale comme une « inégalité scolaire » (mais, apparemment, on est autorisé avec insistance par l’OCDE à dénoncer les inégalités scolaires, tandis qu’il est de mauvais goût dans le monde actuel de dénoncer les inégalités sociales, qui sont en réalité un facteur de croissance et d’opportunités illimitées, surtout pour les pauvres).

L’énoncé « si les enfants défavorisés réussissent moins bien, c’est à cause de la reproduction » ne semble pas, à première vue, particulièrement pendable ; sa nuisibilité apparaît quand on comprend qu’il est le fondement de raisonnements plus ou moins explicites, dont je donnerai quelques exemples (deux d’entre eux sont présents dans la tribune de Belliard) :

1) grâce à la reproduction, les couches supérieures exercent un contrôle sur l’accès aux formations prestigieuses, elles « se réservent » les places en série S, elles « accaparent » les places dans les classes préparatoires, elles « excluent » leurs compétiteurs issus de la « diversité » ;

2) à cause de la reproduction, il n’existe pas de mérite scolaire, puisque la réussite est fondamentalement liée au milieu familial  ;

3) les enfants des milieux défavorisés qui réussissent sont des « alibis », ils servent de justification au maintien d’un système fondamentalement inégalitaire.

Cette dernière assertion est particulièrement ignoble et montre que certains tenants de la théorie de la reproduction, s’ils croient ce qu’ils disent (en fait, ils savent très bien que ce n’est pas vrai au sens strict ; il s’agit de polémique cynique), n’ont que mépris pour les couches défavorisées qu’ils prétendent défendre.
Les tenants de la théorie réaliste de la reproduction sont très ennuyés par la réussite d’enfants de milieux moins favorisés, qui ont en quelque sorte l’impudence de ne pas se conformer à la théorie qu'ils ont pompée à Pierre Bourdieu sans y comprendre grand-chose. D’où l’utilisation de dénominations visant à discréditer ces anomalies : alibis, naïfs, traîtres à leur classe d’origine, pas significatif statistiquement…
Il faut remarquer que ce discours est totalement déconnecté de la réalité sociologique, puisqu’il se déploie (comme on dit) dans des publications (Libération, Le Nouvel Observateur, etc.) dont les lecteurs appartiennent aux milieux socialement et scolairement favorisés et qu’ils sont énoncés par des journalistes dont on peut a priori supposer qu’ils viennent des mêmes milieux ! 

La deuxième assertion est soutenue non seulement par des journalistes, mais aussi par des sociologues médiatiques (Marie Duru-Bellat, notamment), ce qui est un peu surprenant. Si on la prenait au pied de la lettre, on pourrait se demander de quel droit de tels sociologues occupent des chaires universitaires puisque leur idéologie exclut qu'ils aient un quelconque mérite : auraient-ils simplement eu de la chance ? Auraient-ils été mieux pistonnés ? Auraient-ils plus bidonné leur thèse ? 
Je ne le crois absolument pas ! Le caractère diffamatoire de ces suppositions ne prouve qu’une chose : le mérite existe, au moins dans une certaine mesure. Je suis persuadé qu’ils ont écrit de bonnes thèses et qu’ils ont concouru dans des conditions parfaitement éthiques. Malheureusement, ils se laissent aller dès qu’un micro leur est tendu.

Quant à la première assertion, elle est aussi très faible, pour deux raisons :
1) les catégories sociales qui réussissent le mieux à l’école ne sont pas les couches les plus riches et les plus puissantes, mais les couches aisées dotées d’un bon niveau d’éducation et dont la réussite sociale (celle des parents) est fondée sur la réussite scolaire (professeurs, ingénieurs, médecins, avocats, etc.) ;
2) les couches les plus riches et les plus puissantes ne sont pas « privilégiées » par le système scolaire existant, qui oblige leurs rejetons à fournir de gros efforts. En fait ces rejetons sont pris entre deux données contradictoires : un haut niveau de vie, qui incite à l’oisiveté ; le souci, pas la nécessité, de réussir à l’école, qui oblige à travailler.
De fait, si on ne peut pas dire qu’ils échouent à l’école (c'est l'avantage d'avoir de l'argent : une assurance contre l'échec scolaire total ; au pire, ils font une capacité en droit, si cela existe encore, ou une école de commerce très très privée, ou un pensionnat à 30 000 balles l'année en Suisse), ils ne fournissent pas les gros bataillons de la réussite académique . Le système scolaire français (dans son secteur le plus élevé) est mieux représenté par Antoine Compagnon (fils d’officier) que par Bernard Henry Lévy (fils d’un négociant assez important). On pourrait dire que BHL a eu un très grand mérite à entrer à l’ENS malgré ses handicaps de départ (richesse, etc.). C’est une plaisanterie, bien sûr.
Il en résulte que la reproduction scolaire n’est pas la même chose que la reproduction sociale ; BHL est réellement un « héritier » : il a hérité d’une certaine richesse familiale, qui a peu à voir avec sa réussite scolaire. Un élève de l’ENS, fils de professeur du secondaire, qui réussit (comme lui) l’agrégation peut espérer devenir professeur d’université ; ils ne sera pas vraiment riche de ce fait (mais ne sera certes pas à plaindre). S’il est ambitieux, ils peut entrer à l’ENA et accéder à un niveau un peu plus élevé de richesse et de pouvoir (ce n’est cependant pas très courant pour ce type d'élève : entrer à l’ENA (ou dans une école de commerce), c’est entrer dans le monde de l'aculture (le monde sans culture), ce qui est contradictoire avec la valorisation de la culture qui caractérise les candidats à l’ENS).
Cette distorsion est plus ou moins bien vécue par les journalistes de la reproduction : chez une Radier, qui officie au Nouvel Observateur, cela prend la forme d'une détestation pathologique envers « les cadres et les profs » (les lecteurs même de son journal).

Bref : le concept de « reproduction » ne doit pas être utilisé à tort et à travers, ou pour laisser croire qu’on est un grand connaisseur de l’œuvre de Pierre Bourdieu. On n’a rien dit sur la réalité quand on a dit « reproduction », rien de plus que « la réussite scolaire est inégalement répartie selon l’origine sociale ». Ce n’est pas une explication, et même du point de vue descriptif, c’est insuffisant.
Il faut donc essayer d’analyser les processus réels qui font que ces phénomènes réels ont lieu.

A venir
*La métaphore des « héritiers » : une très mauvaise métaphore
*Essai d'analyse des processus réels qui font que des phénomènes réels ont lieu


Note : 
Mon profil socio-culturel : professeur de l'enseignement secondaire, fils d'instituteur et institutrice (fils de tout petits paysans et fille de cheminot, manoeuvre aux chemins fer de l'Ouest). 
En clair : héritier sans mérite... de boursiers méritants.
Profil scolaire : études secondaires au lycée de Nantes (1961-1968), bachelier A à 17 ans, licencié en histoire à 20 ans, professeur certifié en 1988... 
Des études secondaires plutôt bonnes, des études supérieures médiocres.
Je me permets de donner ces indications parce que je trouve peu supportable de la part des Soulé et Radier (et tutte quante) de s'autoriser à parler du système scolaire sans jamais évoquer leur propre parcours. 




Mise à jour : 7 mars 2014